La bande dessinée comme le roman plongent leurs inspirations, parfois, dans l’imaginaire collectif, dans ce que la culture peut avoir de plus populaire.
Depuis quelques années, ainsi, les contes de notre enfance se retrouvent adaptés de mille et une manières, avec, le plus souvent, une relecture psycho-psychiatrique chère à quelques penseurs des années 70 et 80.
IL est vrai que les versions édulcorées de ces contes de Perrault ou de Grimm ont privilégié la gentillesse imaginée de l’enfance au détriment de ce qu’ils étaient, originellement.
A l’origine, oui, tous ces contes, ou presque, parlaient des vrais apprentissages de l’existence, des vrais remous de toute vie. Donc de peur, de haine, de guerre, de violence et de mort.
C’est cette voie-là que Louis Le Hir et son père ont choisi pour créer une trame narrative de ce conte qui ne manque ni de force d’évocation, ni d’intelligence de ton, ni d’écriture véritablement littéraire.
Ils ont pris comme base d’intégrer cette histoire pendant les horreurs de la guerre de cent ans. Ils ont pris comme base aussi de faire du Petit Poucet, cadet d’une fratrie de sept enfants, un petit gars courageux et intelligent, certes, mais intégré totalement dans son époque, et donc rêvant de luttes, de combats, et sachant ce qu’est la mort rencontrée au jour le jour.
Tous les ingrédients du conte connu sont bien là. Il y a les miettes de main, les enfants perdus en pleine forêt, il y a l’ogre, il y a les bottes de sept lieues.
Mais tous ces ingrédients, ces codes chers à Perrault, n’ont rien d’enfantin, que du contraire. Le principal fil conducteur de ce livre, c’est la mort bien plus que l’injustice. Le Petit Poucet face à l’Ogre, c’est David face à Goliath. La distribution que le Petit Poucet fait des richesses volées à l’ogre, c’est Robin des Bois vainqueur du shérif de Nottingham
Le scénario, vous l’aurez compris, est bien charpenté et sans faux fuyant. Le dessin, quant à lui, révèle un talent de graphiste d’un expressionnisme superbe, et un talent de coloriste, aussi, qui dépasse la simple nécessité de créer, grâce à la couleur, des ambiances.
Avec Louis Le Hir, on se retrouve en face d’un dessin qui réussit, avec une maestria extraordinaire, à réconcilier les styles proches de l’épure d’un Munoz, d’une part, et ceux d’une approche du mouvement chère aux meilleurs des mangakas.
C’est de la bande dessinée européenne, cependant, pleinement, qui fait parfois penser aussi aux illustrations tchèques des livres pour jeunes lecteurs.
Lisez ce livre... il est passionnant, et beau, profondément beau, jusque dans la démesure des tueries qu’il met en scène.
Lisez ce livre, et remerciez ainsi ce dessinateur dont on peut avoir la certitude qu’il avait tout pour devenir un grand du neuvième art.
Jacques Schraûwen
BD chroniques de Jacques Schraûwen