Les deux histoires qui composent cet album se déroulent à l’époque de la ruée vers l’or dans le Klondike à la fin du XIXe siècle. Si le climat qui y sévit est plus que rude, la fièvre que suscite le métal jaune et qui frappe la plupart des orpailleurs n’arrange rien. Lele Vianello, le fidèle assistant de Hugo Pratt, semble se souvenir ici de Jesuit Joe, un des meilleurs albums du père de Corto Maltese. Sans démériter le moins du monde !
Dans ce microcosme où croupit toute la lie humaine, la convoitise, l’appât du gain et le crime font partie intégrante du décor. La cohabitation avec les Indiens du cru, loin d’être sereine, vient compléter un tableau où, la vraie nature des personnages qui hantent ces deux nouvelles, se révèle sous son jour le moins reluisant. Mais pas tous, qu’on se rassure ! Dans ce milieu interlope, il subsiste encore quelques bonnes âmes.
Lele Vianello, dans un noir et blanc impeccable, observe tout ce petit monde avec un certain détachement teinté d’un humour un brin cynique à l’aune de ses vils protagonistes. Son trait caricatural type efficacement chacun dans un enchaînement de gros plans ou de plans moyens sur une page composée de six vignettes. Au détour d’une planche, un paysage parfois occupe toute la largeur du strip. Son dessin évoque aussi celui de Didier Comès, autre adepte de l’école prattienne.
Il est amusant de constater que la dernière aventure de Corto Maltese, Sous le soleil de minuit, se déroule également dans cette contrée inhospitalière avec les mêmes ambiances. Et si nul doute ne subsiste quant à la capacité que Vianello aurait eu pour succéder dignement à son « maître », force est de constater que l’esprit Pratt est toujours bien vivace.
Serge Buch (culture BD)