Cela fait un peu plus de huit ans que Sergio Toppi est décédé. Mais son œuvre, elle, continue à se faire découvrir : une œuvre très variée, tout compte fait, et qui ne s’est pas uniquement cantonnée au domaine de la bande dessinée. Un travail à part...
Les Éditions Mosquito aiment éditer des livres qui, tous à leur manière, rendent hommage à une certaine idée de la bande dessinée : son côté populaire, mais avec une véritable présence graphique, le noir et blanc qui impressionne, ainsi son aspect « influences assumées ».
C’est dire si Sergio Toppi a totalement sa place dans cette démarche éditoriale qu’il faut à tout prix soutenir, aider et aimer !
L’œuvre de l’auteur italien est multiforme. Depuis la fin des années 1950, Sergio Toppi a signé des participations très variées auprès de plusieurs éditeurs. On se rappelle de L’Homme des marais par exemple, chez Dargaud. De son travail, pas toujours signé si ma mémoire est bonne, dans des revues comme Rintintin, ou dans des albums BD des éditions Larousse consacrés à l’Histoire de France.
Il y avait là sans doute un travail qu’on peut dire alimentaire. Mais dans lequel on devinait déjà une volonté de dépasser les routines de la bande dessinée formatée, et de se vouloir différent, tant dans le traitement du dessin que dans celui du découpage.
Il franchit un cap dans les années 1970, et devient progressivement un auteur absolument incomparable, un de ces artistes reconnaissables au premier coup d’œil, un maître de la bande dessinée osant mêler intimement la BD à l’illustration, à la recherche typographique aussi, à la construction visuelle également.
Dans Une Armée immobile, on le découvre créateur de figurines militaires, dans un ouvrage qui mêle avec intelligence des croquis, des dessins, et des figurines qui, mises les unes à côté des autres, créent une armée immobile… Ou, plutôt, des tas d’armées immobiles, armées de tous les âges, de toutes les "majuscules Histoires".
’aime ce terme : immobile… C’est qu’il ne s’agit pas de se tromper, et de penser qu’on se trouve en présence d’un livre « militariste ». Tout au contraire même… La volonté de Toppi quant à l’exactitude des uniformes, des physionomies de personnages aussi, tient plus d’une démarche artistique que d’une passion d’obédience « militaria ». C’est un jeu… Une manière aussi de chercher au-delà de l’horreur et du sang, ce que les peuples ont pu trouver de beau dans l’armée, au fil des siècles et des siècles de guerres incessantes.
Toppi dépasse par son trait comme par son travail de la matière, les habitudes qui eurent cours pendant des éternités : les soldats de plomb, les figurines militaires étaient là pour éveiller l’instinct « mâle » chez les garçons. Sergio Toppi transforme cette habitude en ne s’attardant que sur l’aspect créatif et artistique des soldats et de leurs uniformes, désamorçant ainsi une finalité que, profondément, il refuse. C’est la vie qui est au centre de ce livre, jamais la mort. Et toutes ces figurines, face aux dessins qui les ont parfois inspirées, semblent vivre et bouger.
Une phrase mise en exergue dans ce livre en résume en quelque sorte la philosophie : « Tu es encore esclave de l’uniforme que tu portes, alors garde-le, afin que tous sachent que tu n’es pas un homme libre ». Il s’agit d’une réplique tirée de L’Homme des marais. La boucle, en quelque sorte, de toute la carrière extraordinaire de Sergio Toppi est ainsi bouclée !
par Jacques Schraûwen
actua BD