Quelle belle collection, que la « Nec Plus » chez Mosquito, nous proposant de beaux et grands ouvrages à dos toilé, sur beau papier et en tirage limité… Après un premier Toppi consacré aux Tarots puis le magnifique « Pinocchio » vu par Frezzato (et avant le merveilleux « Chat botté » de Battaglia à venir le mois prochain), voici donc Sergio Toppi qui revient avec « Impérativement », un très beau recueil d’illustrations témoignant de l’évolution actuelle du maître italien. Bellissimo !
Que devons-nous faire impérativement dans nos vies ? L’impératif, c’est un commandement moral, une injonction à tenir compte de la réalité de certaines choses avant de prendre position et d’agir. Dans cet ouvrage, Sergio Toppi nous propose une série d’impératifs censés nous sauver de l’écueil, nous écarter de l’erreur et éviter les déconvenues : « Lorsque l’on se trouve dans l’attente de l’héritage d’un parent fortuné, il est impératif de s’intéresser à la toxicité des champignons dont il raffole. », « Quand l’on part en croisade verser le sang des infidèles, on évitera de perdre son temps à martyriser d’innocentes créatures ailées. C’est impératif. », « Débarrassons-nous impérativement de notre fâcheuse tendance à juger les gens selon la couleur de leur cravate. », ou encore « Si l’on accepte de se faire enlever par un dieu aux allures de taureau, l’on aura soin d’exiger impérativement la preuve qu’il ne s’agit pas d’un bovin mégalomane. ». Vous l’aurez compris, ce bréviaire-là lorgne plus du côté de Topor que de Saint-Augustin ! En regard de ses illustrations en pleine page, Toppi distille de petits commentaires dont l’humour ravageur donne tout son relief à l’intention de l’artiste. On retrouve ici tout l’esprit de Toppi, à la fois cynique et humaniste, caustique et révolté, tendre et fou, et le plaisir engendré est immense.
À travers ses illustrations commentées, Toppi nous fait part une nouvelle fois de ses obsessions, des thèmes qui lui tiennent à cœur et qu’il a envie d’explorer encore et toujours, dans de subtiles déclinaisons ou de nouveaux espaces. Il sera ici question de passion, d’atavisme, du rapport entre les êtres, de la vision de l’homme et de la vie, de la violence et de l’étrange. L’amour, la mort, la fausseté de l’existence et l’acuité du regard… Pour compléter les visions hautes en couleurs de Toppi, l’éditeur a eu l’excellentissime idée de placer sous les petits adages assassins de l’auteur un croquis préparatoire du dessin. Au crayon ou à l’encre, parfois rehaussés au crayon de couleur, ces beaux et imposants culs-de-lampe parachèvent avec un talent fou le petit théâtre de Toppi, engendrant bien plus que l’intérêt légitime d’avoir accès aux recherches graphiques de l’artiste pour arriver au résultat final : ces esquisses se révèlent être passionnantes et esthétiquement impeccables – liberté de trait, exagération exacerbée, acuité de l’impulsion créatrice, beauté du style lâché.
Quant aux illustrations en elles-mêmes, elles sont – sans surprise – tout simplement exemplaires et magnifiques. Du grand art. De par son âge vénérable et sa carrière, Toppi est l’un des derniers (LE dernier ?) grands maîtres italiens du 20ème siècle encore en vie. Mais le bougre ne se contente pas d’être en vie, non ! Il continue de créer et de se remettre en question, de chercher, de creuser, d’aller plus loin selon le temps présent de son œil sensible et le bouillonnement de sa technique créatrice. Il triture et fouille lui-même son propre style, ne s’en détachant pas mais lui offrant constamment un horizon ouvert. Dans « Impérativement », ce n’est pas l’art remarquable et si connu de la hachure baroque et complexe de Toppi qui prédomine, mais bien son sens aigu de la composition et de la couleur. Comme souvent, Toppi fait bien autre chose que d’installer un personnage dans un espace structuré par une figure géométrique : il fait plutôt s’interpénétrer le ou les personnages avec la géométrie de la forme structurante, le sujet s’inscrivant dans la forme tout en l’extrapolant, la brisant, la prolongeant dans de multiples astuces de compositions. Et si la hachure n’a pas tout à fait disparu, c’est bien l’art du lavis coloré qui est à l’honneur ici, dans de subtils dégradés, des nuances sensibles ou des contrastes saisissants. C’est juste sublime. En résumé, un album à acheter… impérativement !!!
Cecil McKinley