Derib sous l'oeil de Jijé et Franquin

Autre style, autre genre témoignant de la diversité du catalogue Mosquito, cette monographie de Derib vraiment réussie. Réussie car menée avec autant d’amour que de sérieux par Jean-Michel et Sonia Vernet, mais aussi grâce à la si belle humanité de Derib qui – loin de jouer à la star qu’il est malgré lui – a eu comme volonté d’aborder sa vie et sa carrière « sous l’œil de Jijé et Franquin », jusqu’à inclure cette intention dans le titre. Une manière humble et respectueuse d’un auteur qui n’a jamais oublié ceux qui ont croisé son chemin, ceux qui ont compté, ceux qu’il a aimés… Et lorsque « ceux » ont pour nom Jijé et Franquin, évidemment, ça devient quelque chose !!! Et on se plaît à jalouser ce dessinateur qui a eu la chance de bénéficier du regard, de l’expérience et de l’amitié de ces deux géants… L’équilibre entre l’hommage à ce duo historique et la propre vie de Derib étant judicieusement établi par les Vernet et Derib lui-même, c’est alors un véritable bonheur de parcourir les pages de cette monographie qui nous en apprend autant sur la nature et l’itinéraire du dessinateur suisse que sur l’esprit d’une époque mythique, nous faisant plonger dans des périodes qui ont été déterminantes pour la bande dessinée… belgo-française, comme se plaît à le rappeler Derib. Une appellation remettant un peu les choses à leur place et que je partage, car s’il est vrai que Brel n’est pas né avec un béret et une baguette sous le bras comme le souhaitent inconsciemment beaucoup de nos compatriotes, il en va de même pour cette dénomination institutionnalisée ne rendant pas compte d’une certaine réalité. Quand on parle de bande dessinée franco-belge – et non de BD française ou de BD belge – on pense tout de suite aux journaux Tintin et Spirou qui ont émerveillé les petits Français sur plusieurs générations avec des œuvres à l’esprit et au graphisme si différents de ceux des publications françaises, inspirant tant de dessinateurs d’ici…

Les entretiens entre le couple Vernet et Derib sont menés de manière efficace, réussissant à passer au crible toutes les œuvres de l’auteur et se penchant sur les thématiques de son art, son éthique, sa pensée, ses envies. C’est très plaisant à lire, le témoignage de Derib étant assez libre, ne répondant pas de façon resserrée et tenant compte des éléments parfois digressifs qui entrent bien plus en ligne de compte qu’on ne le croit. Derib parle de son enfance, de son pays, de ses parents, de ce qui l’a constitué humainement… puis commence évidemment à parler de son départ à Bruxelles, de la suite de son parcours épousant définitivement la bande dessinée. Apparaissent alors les visages de Peyo, Jijé, Franquin, et toute l’excitation de l’artiste à côtoyer ces légendes vivantes, surtout ainsi. Des moments parfois contrastés avec Peyo, et le métier qui rentre… Spécialement pour cet ouvrage, Derib a d’ailleurs réalisé quelques beaux dessins de ses amis et collègues Jijé et Franquin. Ce ne sont pas les seuls intérêts iconographiques du livre, loin de là, puisque de très chouettes photos et dessins inédits complètent ces témoignages d’amitié professionnelle. On aborde ensuite les œuvres de Derib, d’ « Attila » à « Pythagore » en passant par les « Ahlalâââs », et bien sûr « Yakari » et « Buddy Longway ». Derib parle longuement et chaleureusement de « Buddy Longway » ; c’est un moment très précieux dans cet ouvrage, je trouve. Et surtout cela ouvre le dialogue sur les « œuvres indiennes » ultérieures de Derib : « Celui qui est né deux fois », ou « Red Road ». La thématique indienne est donc largement abordée, révélant aussi une part de la philosophie de vie de l’artiste. Derib, un artiste humaniste dont les prérogatives éthiques se sont aussi exprimées dans les albums « Jo » ou « Dérapages », et dont il parle ici avec franchise et volonté. Derib parle de la condition humaine, de la condition des femmes, de son engagement artistique pour tenter d’amener un peu de bien en ce monde de fous meurtriers. Lorsque je vous aurais dit que Jean-Michel Vernet a complété ses entretiens en écrivant un texte qui revient sur la notion de « chemin » chez Derib, que Pierre Yves Lador a signé une postface tellurique à souhait et qu’un certain… Gilles Ratier (tiens tiens…) a assuré la bibliographie de Derib en fin d’ouvrage, alors vous n’aurez plus aucun doute sur l’intérêt de cette monographie humaine et passionnée. Indispensable pour tout fan de Derib !

Il a fait de ses héros davantage que des créatures de papiers: des êtres qui ont un destin. Claude de Ribaupierre, plus connu sous le pseudonyme de Derib, est en effet l'un des rares auteurs de BD à ne pas avoir craint de faire mourir l'un de ses personnages fétiches: le trappeur Buddy Longway. Il est vrai que Derib est un dessinateur à part dans le petit monde du neuvième art, ainsi que le prouve cette monographie attentive (bien qu'un peu trop consensuelle, à mon sens). Nourri de nombreux dessins inédits, cet ouvrage retrace le riche parcours de celui qui est aujourd'hui une mémoire vivante de l'école franco-belge. Ancien assistant de Peyo (il encra les crayonnés des Schtroumpfs), puis disciple de Jijé (qui prônait « une morale absolue du dessin ») et de Franquin (qu'il décrit comme un mécanicien de précision du gag), Derib cultive une double veine: l'une fantaisiste, avec Yakari, le petit sioux qui parle aux animaux; et l'autre réaliste, avec des albums comme Jo (sur le sida) et Dérapages (sur la prostitution). Cette monographie empathique brosse le portrait d'un dessinateur idéaliste et un brin mystique.

Depuis une quarantaine d'années, Claude Derib trace son chemin avec brio dans le neuvième art, en animant l'une des plus fameuses bandes dessinées jeunesse, (Yakari, scénarisée par Job), tout en signant régulièrement des récits plus adultes, comme la série Buddy Longway ou le cycle Red Road. C'est ce beau parcours que l'auteur suisse nous raconte dans Sous l'œil de Jijé et Franquin. Comme toujours dans l'indispensable collection de monographies des éditions Mosquito, cet ouvrage est richement iconographié et complété par une bibliographie exhaustive.

Derib est un dessinateur très marquant dans la bande dessinée franco-belge. Il a connu un succès mondial avec sa série jeunesse Yakari, récemment adaptée en série dessin animé, mais aussi avec Buddy Longway.
Derib, c'est aussi la controverse de one-shot préventifs sur le sida (Jo), la prostitution (Pour toi Sandra) et la délinquance (No limits) qui ont fait polémique, par leur teneur plutôt réactionnaire et caricaturale.

Sur la forme, l'ouvrage est très richement documenté en inédits et autres planches ou illustrations difficiles à trouver ailleurs.
Le livre reprend toute la vie ou presque de Derib à travers un interview très bien réalisée où peu de thèmes sont oubliés…..
Les photographies, croquis, illustrations, peintures, crayonnés et planches réunis sont très nombreux et témoignent d'un véritable travail et dévoile certains pans méconnus de la carrière de l'auteur.

La question que je me suis d’abord posé est pourquoi cet intitulé: Derib sous le signe de Jijé et Franquin.
En fait, la réponse est très simple, Derib l’explique très bien, c’est tout simplement parce les auteurs en question l’ont particulièrement intéressé et soutenu.
Nous pouvons d’ailleurs parfaitement nous rendre compte de cette atmosphère d'émulation entre auteurs de BD en regardant sur le site internet de la  télévision Suisse TSR un document d’archive exceptionnel : une émission télévisée de 50 Minutes consacrée à Derib (Buddy Longway, Yakari) et à ses amis : André Franquin (Gaston Lagaffe), Peyo (Les Schtroumpfs), Jijé (Jerry Spring), Greg (Achille Talon), Jean Giraud (Blueberry) et Bernard Cosey (Jonathan).

A regarder absolument pour tous les fans.

Mais revenons sur la carrière de Derib.
Il apprend l'art de la BD en " schtroumfant " chez Peyo à Bruxelles où il participe aux planches des Schtroumpfs, notamment Le Schtroumfissisme.
Peu après, de nombreuses planches de Derib paraissent dans les magazines Spirou, Tintin et Pilote.
Il devient alors l'ami de Franquin (Gaston Lagaffe, Spirou), de Jijé (Jerry Spring), de Roba (Boule et Bill), de Bob de Moore (collaborateur de Hergé) et de  plein autres.
A l'âge de 22 ans, il conçoit le personnage de Yakari (qui prendra vie grâce aux scénarios de Job).
En 1969, paraissent les aventures de Pythagore, un hibou qui parle. Il s'agit là de la première série de BD entièrement réalisée par des Suisses (Derib et Job), éditée et imprimée en Suisse.
En 1971, pour le Journal TINTIN, il anime la série Go West avec Greg, qui raconte l'aventure d’une caravane de pionniers du Far West
Puis son succès éclate réellement au grand jour avec le personnage de Buddy Longway où son amour du dessin, du western et des chevaux concourt à la réussite d'une œuvreui, d'emblée, devient un classique du roman par l'image.
Buddy Longway est un trappeur blanc qui vit dans le Far West. Il est fils de pionniers irlandais. Il épouse une indienne, Chinook , avec laquelle il fonde une famille. Ils auront deux enfants: Jeremy et Kathleen. Ce qui fait la particularité de la série, c'est que le héros vieillit physiquement et meurt à la fin de sa dernière aventure.
En 1981, il commence sa longue saga réaliste celui qui est né deux fois. Un enfant indien naît par une nuit de tonnerre. Il s'appellera pluie d'orage. Quelques années de bonheur, puis, sa famille massacrée, il fuit. Promis à un rôle de premier plan, il deviendra celui qui est né deux fois et découvrira le sens de sa mission.  La civilisation Indienne décrite côté cœur.
Viendra ensuite Red Road. Dans l'Amérique moderne, les "êtres humains" ont perdu fierté et beauté. Leur monde est celui du désespoir. Amos, l'héritier du grand ancêtre, est poursuivi par la police pour vol de cheval. Il trouve refuge à "Bad Lands", sa réserve natale, où de jeunes Sioux hors-la-loi prônent la lutte armée.
Puis, il publie des BD plus engagées : Jo, œuvre majeure de 80 pages, consacrée à la sensibilisation des jeunes au Sida. Après, il y a Pour toi, Sandra qui parle des problèmes de la prostitution. Enfin, il dessine No Limits, un album consacré a la violence et la délinquance.

On pourrait croire que cet ouvrage biographique est à conseiller aux réels amoureux de Derib, mais pas seulement, il satisfera tous les fans de la bande dessinée franco-belge.
Lecteur, je t’invite  à découvrir les chefs d'œuvres de Derib. Personne ne le regrettera...